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Construire le sens par la disparité. Lectures croisées du Chevalier errant de Thomas de Saluces (1394-1396)

Entre emprunt et réécriture : la reprise de l’Arbre des batailles dans le Chevalier errant de Thomas de Saluces

Kim Labelle

Entrées d’index

Géographique :

France, Italie

Index chronologique :

Moyen Âge
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Texte intégral

  • 1  Tommaso III di Saluzzo, Il Libro del Cavaliere Errante (BnF ms. fr. 12559), éd. M. Piccat, trad. i (...)
  • 2  F. Bouchet, Le discours sur la lecture en France aux xive et xve siècles : pratiques, poétique, im (...)
  • 3  Ibid.
  • 4  R. Trachsler, compte rendu de R. Fajen, Die Lanze und die Feder. Untersuchungen zum « Livre du che (...)
  • 5  Thomas III. von Saluzzo, Le livre du Chevalier errant, éd. R. Fajen, Wiesbaden, Reichert, 2019, p. (...)
  • 6  K. Busby, « La bibliothèque de Tommaso di Saluzzo », « Qui tant savoit d’engin et d’art ». Mélange (...)
  • 7  De plus, Marco Fantoni montre que le débat entre Achille et Hector proviendrait de la seconde réda (...)

1Le Livre du Chevalier errant1, par sa nature éclectique et l’abondance des textes qu’il convoque, autorise une constante relecture et, par conséquent, de nouvelles analyses. Il s’agit d’une œuvre « encyclopédico-allégorique »2 dans laquelle interviennent plusieurs matières (bibliques, antiques, rappels de « souvenirs de lecture »3) alors que d’autres passages sont plutôt textuellement recopiés d’œuvres existantes, dans une optique de compilation, faisant en sorte que la critique s’affaire à repérer les différentes sources des passages convoqués : « le Chevalier errant, écrit Richard Trachsler, est un roman fait, d’un bout à l’autre, d’autres romans »4. Robert Fajen, quant à lui, évoque un « literarisches Vexierspiel »5, un « puzzle littéraire ». C’est ce que faisait déjà remarquer Keith Busby, dans un article qu’il consacre à la « bibliothèque de Tommaso di Saluzzo » et où il constate que l’auteur « cite parfois des vers entiers du roman de Benoît [Roman de Troie] »6, notamment dans les passages qui restituent le débat entre Pâris, Diomède et Criseyde, celui entre Hector et Achille ou encore l’épisode qui raconte l’histoire de Pâris et d’Hélène7.

  • 8  R. Trachsler, Disjointures-conjointures. Étude sur l’interférence des matières narratives dans la (...)
  • 9  Tommaso III di Saluzzo, Il Libro del Cavaliere Errante…, éd. cit. n. 1, p. 404.
  • 10  L’histoire pontificale se retrouve aux p. 398‑403 et l’histoire romaine aux p. 404‑434.

2Si la critique salucienne a abondamment commenté les réutilisations de Benoît de Sainte-Maure et les remplois de la matière arthurienne8, peu de chercheurs se sont intéressés à l’épisode racontant l’histoire de la papauté et à la longue partie d’histoire (principalement) romaine, cette dernière étant relatée par le « maistre Orose »9 à la cour de Fortune, où il restitue l’histoire des quatre grands royaumes païens jusqu’au règne de l’empereur Octavien. Les deux passages évoqués se trouvent presque l’un à la suite de l’autre10 : ils sont seulement séparés par une adresse au chevalier concernant Fortune et par la rencontre du protagoniste avec « maistre Orose ». Ainsi, le segment d’histoire pontificale débute à saint Pierre et se termine au règne d’Urbain VI et au Grand Schisme d’Occident, alors que la partie d’histoire romaine commence aux quatre royaumes, traite de l’arrivée de Saturne en Italie (et donc de la généalogie du roi Latin), du récit énéen, de la fondation de Rome par Remus et Romulus, des différentes guerres après la fondation de Rome, évoque la naissance d’Alexandre le Grand et ses conquêtes en Orient, après quoi elle enchaîne sur les guerres puniques, sur Pompée et César – avec une insistance marquée sur la mort de ce dernier – pour s’achever sur l’empereur Octavien. Si les sujets énumérés peuvent sembler nombreux, le prince piémontais passe tout de même assez rapidement sur chacun d’eux. Le tout est présenté sous la forme de deux importants blocs de narration en prose concentrés sur les sujets évoqués, ce qui correspond respectivement à 221 (épisode sur la papauté) et à 717 lignes (histoire romaine) des 10 498 que comprend le Chevalier errant.

3Si l’on part du constat que de nombreux passages du Chevalier errant sont repris de divers textes-sources, il convient de s’interroger sur les œuvres qui auraient effectivement servi pour ces deux segments. En ce qui concerne l’épisode d’histoire romaine, Thomas de Saluces paraît l’indiquer lui-même, puisqu’il met directement en scène Paul Orose (tantôt « maistre Orose »), auteur des Historiae adversus paganos (Chevalier errant, p. 404) :

Certes, sire chevalier, et je le feray tres voulentiers ; et se mon nom vous voulés savoir, sachiez que on m’appelle maistre Orose, et sui un docteur qui moult me suis pris garde de vostre demande et sçay plainement une partie de leurs fais. Et pour ce qu’il seroit trop long le compte, aussi il ne me seroit mie possible de tant savoir ne racompter.

  • 11  Il s’agit du nom donné par Paul Meyer dans son article fondateur « Les premières compilations fran (...)
  • 12  Bien que composée à partir de nombreuses sources, notamment la Vulgate, Eusèbe de Césarée, Flavius (...)

4Tout de suite après s’être présenté, Orose entreprend son récit en rappelant le nombre d’années écoulées depuis le commencement du monde jusqu’à la naissance du Christ (« “Donc” dist le docteur qui s’appelloit Orose – en latin Orosius – “parlant a monseingneur Saint Augustin que du commencement du monde jusquez au commencement de Romme passerent .iiij.m .iiij.c .iiij.xx ans” » [Chevalier errant, p. 404]). Cette mention peut à première vue renvoyer à deux textes : les Historiae adversus paganos d’Orose, ce qui ne semble pas être le cas ici, comme nous le montrerons dans notre première partie, et l’Histoire ancienne jusqu’à César (dorénavant HAC)11 dont on reconnaît que les Historiae adversus paganos constituent les sources principales12 dès sa première rédaction.

  • 13  K. Busby, « La bibliothèque », art. cit. n. 6, p. 37 ; F. Bouchet, Le discours…, opcit. n. 2, p. (...)
  • 14  Voir aussi J.-C. Mühlethaler, Énée le mal aimé. Du roman médiéval à la bande dessinée, Paris, Les (...)
  • 15  F. Bouchet, Lire, voir, écrire au xive siècle : étude du « Livre du Chevalier errant » de Thomas d (...)
  • 16  On dénombre, toutes rédactions confondues, environ 85 manuscrits conservés, ce qui fait état de l’ (...)
  • 17  A. Rochebouet, La cinquième mise en prose…, opcit. n. 12, p. 39 ; J.-C. Mühlethaler, Énée le mal (...)
  • 18  A. Rochebouet, « De la Terre sainte au Val de Loire : diffusion et remaniement de l’Histoire ancie (...)

5À cet égard, la critique a longtemps soutenu l’hypothèse que Thomas de Saluces se serait servi de l’HAC, première histoire universelle en langue vernaculaire datant du xiiie siècle, et des Faits des Romains, œuvre historiographique du xiiie siècle portant sur Jules César et servant souvent de section romaine à l’HAC, pour écrire sa portion d’histoire romaine du Chevalier errant13. En ce sens, les mentions paratextuelles de certains manuscrits de l’HAC ont sans doute contribué à entretenir la confusion quant au texte-source. En effet, il n’est pas rare que la chronique y soit présentée comme une traduction des Historiae adversus paganos et qu’elle y prenne le titre de Livre d’Orose14. Les manuscrits BnF, fr. 39‑40 annoncent ainsi un Premier livre de Orose, titre repris dans la table des rubriques : « Cy commence la table des rubrices de ce premier livre d’Orose ». Le témoin conservé sous la cote BnF, fr. 64 intitule pour sa part la première partie du texte « Les croniques que Orosius compila », désignation reprise dans la première rubrique (fol. 17ra) : « Cy commencent les croniques que Orosius compila de la Bible c’est assavoir tout le Genesi et puis du roy Ninus, de Feminie. Et de Thebes et de Troie la Grant et de Alixandre de Macedoine ». Enfin, l’histoire de la diffusion et de la réception de l’HAC peut elle aussi expliquer l’attribution reconduite depuis les travaux de Florence Bouchet15. La renommée enviable dont l’HAC jouit depuis sa rédaction16 se mesure aux nombres d’œuvres historiographiques auxquelles elle a pu servir de source (la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes, la Bouquechardière et le Traité des Neuf Preux et des Neuf Preuses de Sébastien Mamerot, le Livre de la mutacion de Fortune de Christine de Pizan, entre autres)17. Dans ce contexte, il a sans doute paru naturel de poser l’hypothèse qu’elle a pu servir de source à un texte plus éclectique qui valorise justement l’interférence des genres littéraires et, qui plus est, aurait été composé en Italie, où l’on remarque une importante production d’histoires universelles, comme a pu le montrer Anne Rochebouet, qui recense 14 manuscrits ou fragments italiens de l’HAC18.

  • 19  J. Leeker, Die Darstellung Cäsars in den romanischen Literaturen des Mittelalters, Francfort, Klos (...)
  • 20  J. Leeker, Die Darstellung Cäsars…, opcit., p. 65, 289 et 391.

6Ainsi, les indices qui pointent vers le recours à l’HAC dans le passage où Orose relate l’histoire romaine pour la cour de Fortune dans le Chevalier errant de Thomas de Saluces sont nombreux et a priori convaincants. Pourtant, d’autres critiques ont proposé une autre source pour ce segment ainsi que pour celui qui le précède — il se rapporte à l’histoire pontificale19. Ce dernier passage ne semble pas avoir attiré l’attention de la critique salucienne, mais il demeure intéressant puisqu’il permet d’examiner un échantillon plus étendu des pratiques compilatoires du prince piémontais. Nous allons voir que l’œuvre qui sert de base à ces deux parties du Chevalier errant est bien plutôt l’Arbre des batailles d’Honoré Bovet : son utilisation par le marquis de Saluces pour la partie sur Jules César a été décelée et analysée par Joachim Leeker en 198620 ; mais encore, la reprise de l’œuvre d’Honoré Bovet se voit déjà dans l’épisode d’histoire pontificale qui précède, ce que nous démontrons en seconde partie. De fait, la lecture parallèle des deux passages fait apparaître que Thomas de Saluces reprend mot pour mot l’épisode d’histoire romaine tel que l’a relaté Honoré Bovet. En revanche, en ce qui a trait à la partie d’histoire pontificale, la réutilisation qu’en fait le prince piémontais diverge du texte, puisqu’il réécrit et reformule de nombreux passages et exécute des coupes, témoignant ainsi des différentes opérations que peut faire subir un auteur à un même texte. Cependant, avant de procéder à l’examen comparé des passages, il nous faut remettre l’œuvre d’Honoré Bovet dans son contexte.

1. Honoré Bovet et l’Arbre des batailles

  • 21  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », Honoré Bovet, L’Arbre des batailles, éd. Ead., Genève, Dro (...)
  • 22  Ibid.
  • 23  Dans le sud de la France, « les élites sont bilingues » (C. Marchello-Nizia, Histoire de la langue (...)
  • 24  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xix.

7Probablement écrit entre octobre 1386 et octobre 138921, l’Arbre des batailles a été composé par Honoré Bovet, prieur de Salon en Haute Provence (aujourd’hui Selonnet). On connaît quelques éléments de la vie de l’auteur, notamment le fait qu’il serait probablement né entre les années 1345 et 1350 et qu’« il passe sa vie dans l’ordre bénédictin, depuis 1371 comme prieur de l’Abbaye de Salon »22. Il commence ses études de droit canonique à l’Université de Montpellier et les termine à l’Université d’Avignon, après quoi il obtient le titre de docteur en décret. Trilingue, il rédige des œuvres en latin, en occitan et en français23, cette dernière langue semblant être celle qu’il préfère, « non seulement en vue de la diffusion de ses œuvres, mais aussi et surtout dans la tradition de la politique culturelle de Charles V »24. Relativement érudit par ses études et ses fonctions ecclésiastiques, il possède une grande culture, spécialement dans les domaines de l’histoire, de la théologie et, bien évidemment, du droit. Le dernier document qui le mentionne date de 1409, année après laquelle ou à partir de laquelle on perd sa trace.

  • 25  Selon Frédéric Duval, avec la codicologie quantitative, on peut estimer qu’une œuvre médiévale en (...)
  • 26  « Annonce » est le terme qu’utilise Hélène Biu pour parler de cette mention explicative qui se ret (...)
  • 27  Honoré Bovet, L’Arbre des batailles, éd. cit. n. 21, p. 3.

8Les 88 manuscrits que l’on a conservés de l’Arbre des batailles tendent à le signaler comme « best-seller » au sein de la production de la fin du xive siècle25. Cette œuvre est divisée en quatre parties distinctes, comme l’indique une annonce26 attribuée à l’auteur qui précède la table des rubriques dans la plupart des manuscrits27 :

Ce livre est divisé en iiij parties. En la premiere partie parle des adversitez que la sainte Eglise de Romme a souffertes et des scismes et heresies qui ont esté en la foy chrestienne depuis son commencement jusques a present. La seconde partie parle de la destrucion et des tribulacions des iiij royaulmes, c’est assavoir Babiloine, Macedoine, Cartaige et Romme. La tierce partie des batailles en general. La quarte partie parle des batailles en especial.

  • 28  « A la sainte couronne de France, en laquelle au jour d’uy par l’ordenance de Dieu regne Charles l (...)
  • 29  H. Biu, « Prolégomènes », art. cit. n. 26, p. 213.
  • 30  Ibid.
  • 31  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xxxviii.

9Dédié à Charles VI28, l’Arbre des batailles est une vaste somme encyclopédique en prose qui, pour traiter du droit de la guerre, fait appel à de nombreuses autorités (historiques, canoniques, philosophiques et juridiques). Il en existe deux versions, l’une dite commune que l’on retrouve dans la plupart des manuscrits et l’autre appelée interpolée que l’on ne conserve aujourd’hui que dans cinq manuscrits29. La différence entre les deux versions consiste en un regroupement des troisième et quatrième livres en un livre iv en raison d’une interpolation, insérée entre les deuxième et troisième livres, qui deviendra alors le livre iii. Cette interpolation relate l’histoire européenne des années 1159 à 1328 et la succession des papes est le principe directeur30. Cette version ne fera pas l’objet de cet article, la partie interpolée ne concernant en rien notre propos. L’Arbre des batailles s’avère, comme le souligne Reinhilt Richter-Bergmeier, un ouvrage difficile à décrire et à catégoriser en raison du choix du destinataire de l’œuvre et de sa dimension composite31 :

L’arbre des batailles n’appartient à aucun genre connu. Mais cette forme de vulgarisation, entendue à la fois comme traduction de sources latines en français et comme changement de style, permet à l’auteur d’atteindre un public différent ; L’arbre des batailles ne s’adresse pas aux spécialistes de droit, mais au jeune roi Charles et à la cour royale, aux princes et aux « gens séculiers » en suivant, dans toutes ses parties, une idée directrice : les conflits qui ont accablé et qui, à son époque, accablent toujours la société laïque et religieuse, créent la nécessité de confirmer la juridiction et de rétablir la paix sur la base du pouvoir légitime.

10À l’instar d’autres œuvres encyclopédiques, qui tendent à se concentrer sur un domaine en particulier – l’histoire du monde pour les histoires universelles, la mythologie pour les traités mythographiques –, l’Arbre des batailles adopte lui aussi un projet d’écriture clair, qui n’empêche toutefois pas l’impression d’errance que peut provoquer l’acte de compilation. En ce sens, il n’est guère étonnant qu’elle ait pu servir de source à une œuvre aussi éclectique que le Chevalier errant.

  • 32  Ibid., p. xxi.
  • 33  Ibid.

11Le segment d’histoire pontificale que l’on retrouve dans le Chevalier errant est tiré du livre i de l’Arbre des batailles. Honoré Bovet y pose d’abord trois questions qu’il juge essentielles, à savoir « la définition de la guerre, son origine et le problème du duel judiciaire »32, avant de poursuivre avec une définition augustinienne de la guerre comme procédé pour restaurer la paix. Il enchaîne ensuite avec une théorie selon laquelle la guerre est le résultat du conflit entre les bons et les mauvais anges du ciel et il cite une série d’exemples tirés de l’Ancien Testament. S’ensuit une division de l’histoire en cinq temps qui correspond « aux “manières de temps” de l’Apocalypse qui ont comme symbole chacune un ange avec sa trompe »33 :

  1. De saint Jean Baptiste à Sylvestre Ier en 314

  2. La vie de Sylvestre Ier jusqu’à sa mort en 335

  3. La vie de Grégoire Ier jusqu’en 604

  4. Du pape Agathon (mort en 681) et de ses successeurs jusqu’au pape Alexandre III (mort en 1181)

  5. L’époque des papes Urbain V (mort en 1370) et Grégoire XI (mort en 1378).

  • 34  Ibid., p. xl-xli.
  • 35  Ibid., p. xl.
  • 36  Nous renvoyons aux paragraphes suivants.
  • 37  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xl.

12Le premier livre propose deux visées distinctes, l’une historique et l’autre exégétique. Honoré Bovet recourt donc, pour l’élaboration de sa première partie, à différents types d’ouvrages historiographiques, canoniques et exégétiques, notamment le Tractatus de Bello, de Represaliis et de Duello de Jean de Legnano, l’Historia ecclesiastica nova de Bartolomé de Lucca, le Chronicon pontificum et imperatorum de Martin le Polonais, l’Apocalypse, la Bible, le Decretum Gratiani ainsi que des passages de saint Grégoire, de Barthélémy l’Anglais et de saint Bernard34. Bien qu’il renvoie à quelques reprises à « Martin » dans son premier livre et que le Chronicon serve effectivement de source, l’éditrice note toutefois que les extraits qui renvoient à Martin ne proviennent pas de son histoire universelle, mais bien de l’Historia ecclesiastica nova de Bartolomé de Lucca qui lui aussi se fonde sur la chronique de Martin le Polonais35. S’il est indéniable qu’Honoré Bovet ait pu avoir accès au Chronicon36, il semble cependant lui avoir préféré l’Historia ecclesiastica nova pour l’élaboration de certaines parties de son premier livre, même si le recours à Martin le Polonais est attesté pour d’autres sections de ce même livre comme source secondaire37.

  • 38  Ibid., p. xxv.

13Le livre ii nous intéresse dans la mesure où Honoré Bovet y fait un résumé historique des quatre royaumes païens jusqu’au règne de l’empereur Octavien. Ce récit, compte tenu du projet d’écriture de son auteur, n’a pas qu’une fonction informative qui viserait à instruire le lectorat sur un pan de l’histoire romaine : il soutient aussi des réflexions de l’auteur sur « l’origine de la juridiction qui remonte à Dieu et qui est due à la nécessité de tout groupe d’avoir un seigneur, et [sur] l’installation de juges, fonction qui est passée de Dieu aux pères de famille et ensuite aux souverains juges qui assument l’office du pouvoir »38. Ces questions plus théoriques qui accompagnent l’exposé historique déterminent les deux livres suivants.

  • 39  Pour la démonstration, voir ibid., p. xxv et xli.
  • 40  Par exemple, au passage qui traite des quatre royaumes : « Sicut ergo dicit Orosius ad beatum Augu (...)
  • 41  Ibid.
  • 42  A. Salamon, « Le Traictié des Neuf Preux de Sébastien Mamerot : gérer l’autorité dans une compilat (...)

14Dans ce second livre, Honoré Bovet suit principalement le Chronicon de Martin le Polonais39 qui recourt quant à lui explicitement aux Historiae adversus paganos d’Orose pour établir sa chronique. Par conséquent, si le nom d’Orose apparaît dans l’Arbre des batailles, c’est dans la mesure où celui-ci est évoqué par Martin dans sa chronique40. Il n’est alors guère surprenant de voir le nom d’Orose apparaître, par ricochet, dans l’œuvre d’Honoré Bovet. Ce nom vient dès lors occulter la source réelle d’Honoré Bovet qui, par ailleurs, ne mentionne jamais le Chronicon ni son auteur, y renvoyant plutôt grâce à la mention, vague, d’istoire ou des istoires41. Ce renvoi à une autorité plus ancienne est significatif en ce que plusieurs auteurs médiévaux l’emploient pour démontrer le sérieux de leur travail de compilation. Comme l’explique Anne Salamon : « Le texte présente une perpétuation et une transmission d’une autorité par l’énoncé de noms illustres, qui semble suffire à cautionner le contenu historique et son authenticité »42.

  • 43  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xxxv.
  • 44  Ibid., p. xxiv.
  • 45  B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier, 20112 [1980], p (...)
  • 46  Tommaso III di Saluzzo, Il Libro del Cavaliere Errante…, éd. cit. n. 1, p. 370‑373.

15Bien qu’Honoré Bovet soit généralement respectueux du Chronicon, il se permet d’intervenir dans le texte de sa source, puisque, comme le souligne son éditrice : « il concrétise les situations, souligne la violence des combats, ajoute beaucoup de détails comme le nombre de morts, met bien en scène les sentiments et les raisons d’agir des personnages concernés par les événements relatés et introduit des réflexions morales »43. Ces modifications au texte de Martin le Polonais servent son projet : elles agissent à titre d’exemples et de contre-exemples à son lectorat. Il présente une époque célèbre pour de nombreuses guerres et conflits (les conflits des Romains avec les Samnites, les guerres puniques, les conflits avec les Cimbres et les Teutons, la guerre civile que cause Sylla et les conquêtes en Gaule de Jules César)44, qui viennent en quelque sorte justifier et légitimer l’exposé sur le droit de la guerre qu’il propose. De plus, l’histoire de Rome jouit d’une très grande popularité au Moyen Âge, surtout dans le milieu scolaire, que fréquente Honoré Bovet. On s’inspire beaucoup des Romains et de leur histoire et l’on retient généralement du peuple latin sa sagesse45. Ce côté exemplaire de l’époque romaine sert également dans le Chevalier errant qui, nous l’avons dit, met ce récit dans la bouche même d’Orose après avoir évoqué quelques acteurs de l’histoire de Rome (César, Néron et Pompée, par exemple)46 lors de l’arrivée du chevalier à la cour de Fortune. Ce faisant, en puisant, comme on le verra, dans l’Arbre des batailles, Thomas de Saluces récupère ainsi une version d’Orose par deux fois remaniée. Enfin, ne se contentant pas seulement d’emprunter une grande partie du texte d’Honoré Bovet, il conserve également une partie de l’architecture mise en place par ce dernier, plaçant l’un à la suite de l’autre les segments des histoires pontificale et romaine.

2. Une réutilisation à l’identique de l’histoire romaine

  • 47  Ibid., p. 406 sq.
  • 48  Orose, Historiæ adversus paganos, éd. M.-P. Arnaud-Lindet, Paris, Les Belles Lettres, 1990, i, 18, (...)
  • 49  J. Monfrin, « Les translations vernaculaires de Virgile au Moyen Âge », Lectures médiévales de Vir (...)
  • 50  La Chronique dite de Baudouin d’Avesnes réduit considérablement le texte de l’HAC, mais les simili (...)

16Même si le segment d’histoire romaine se trouve après le segment d’histoire pontificale, nous préférons débuter par le récit de Rome, qui est plus étendu et qui permet d’évaluer un plus grand nombre de caractéristiques. Cette légère entorse à la chronologie du récit nous permettra de faire des parallèles avec le second épisode, nettement plus court. Nous l’avons évoqué en introduction, Thomas de Saluces ne traite pas l’Arbre des batailles de la même manière selon le livre qu’il utilise. Ainsi, il reprend le texte du second livre mot pour mot et n’y déroge qu’en de rares occasions. L’étude du récit énéen47, tout particulièrement, permet la mise en lumière de cet héritage et l’évaluation de ce que la critique salucienne considérait jusqu’alors comme une intervention créative de l’auteur du Chevalier errant. Le lecteur familier de l’HAC et des Historiae adversus paganos s’étonne en effet de la version que propose le Chevalier errant du récit d’Énée. D’une part, Orose n’en traite jamais dans son texte, car selon lui le périple d’Énée en Italie « ludi litterarii disciplina nostrae quoque memoriae inustum est »48. D’autre part, l’histoire du fils d’Anchise présente dans l’HAC (qui suit Virgile en y intégrant les Commentaires de Servius)49 diffère beaucoup trop de celle racontée dans le Chevalier errant pour que Thomas de Saluces ait suivi, à cet endroit, le récit de cette histoire universelle. De plus, il aurait considérablement abrégé la trame de son texte-source, procédé de réécriture fréquent50, mais qui aurait été surprenant dans le cas du marquis de Saluces, qui tend plutôt à suivre de près les sources qu’il utilise. Il est donc difficile de croire que l’HAC ait pu servir de source au récit énéen. Au contraire, une comparaison avec l’Arbre des batailles permet d’expliquer les différences entre l’HAC et le Chevalier errant.

Sources du récit énéen

Sources du récit énéen
  • 51  Il existe également une version catalane de l’Arbre des batailles, qui est postérieure à la rédact (...)

17À la lecture du récit du prince troyen proposé par Thomas de Saluces, ce sont d’abord les noms des personnages qui frappent, en ce qu’ils sont différents de ceux que l’on retrouve dans l’Énéide et l’HAC. Ascagne apparaît sous la forme d’Estain, le roi Évandre sous celle d’Olbandre (ou d’Olbrande, que l’on retrouve une seule fois) et Turnus devient Trino. On retrouve ces mêmes noms dans l’Arbre des batailles et les seules différences sont d’ordre graphique ou peuvent relever d’une erreur de copie ou d’un désir de correction. On retrouve par exemple Escain et Dolbandre dans l’œuvre d’Honoré Bovet, mais l’écart s’explique facilement. Dans le premier cas, la confusion entre les c et les t est fréquente, et il pourrait tout simplement s’agir, ici, d’une mélecture ou d’une variante présente dans le modèle. Dans le second cas, il est impossible de spéculer d’où provient la modification. Nous pouvons simplement avancer que le d que l’on retrouve à toutes les occurrences dans l’Arbre des batailles a été omis à quelques reprises (par Thomas de Saluces ou bien par le copiste du manuscrit qu’il utilisait) ou qu’il a pu être compris comme une préposition et non comme la première lettre du nom. La différence entre les prénoms retrouvés chez Honoré Bovet et chez Martin le Polonais s’avère, quant à elle, difficile à expliquer. L’hypothèse la plus logique est qu’Honoré Bovet, au moment de l’écriture de son œuvre, ait opté pour une version marquée par l’occitan, autre langue qu’il maîtrisait. De fait, comme Thomas de Saluces connaissait l’occitan, la langue utilisée dans le Piémont, il se pourrait que l’auteur du Chevalier errant ait tout bonnement décidé de conserver les prénoms proposés par Honoré Bovet et qu’il avait peut-être déjà entendus. Il est, en effet, possible d’observer certaines similitudes entre les noms en français et ceux dans la version occitane (BnF, fr. 1277) de l’Arbre des batailles51 :

Tradition latine

Arbre des batailles en français

Arbre des batailles en occitan

Chevalier errant

Ascanus (Ascagne)

Escain (p. 101, 103)

Escan (p. 103)

Escin (fol. 34v)

Escain (fol. 35v [2])

Estain (p. 406)

Estan (p. 407 [2])

Evander (Évandre)

Dolbandre (p. 102 [3])

Dolbrande (p. 102)

Ovardie (fol. 35r)

Omandra (fol. 35r)

Domandio (fol. 35v)

Olbandre (p. 406 [2], 407)

Olbrande (p. 406)

Turnus

Trino (p. 102 [2])

Troyo (fol. 35v)

Trino (p. 407 [2])

18Il n’en reste pas moins que Thomas de Saluces a décidé de conserver les formes rencontrées dans le texte-source qu’il avait sous les yeux, à quelques modifications près, comme nous l’avons mentionné.

  • 52  Martini Oppaviensis, Chronicon, éd. cit. n. 40, p. 399.

19Au-delà des noms des personnages, la trame du récit énéen, dans le Chevalier errant, s’écarte des sources habituelles – c’est par exemple le cas du mariage de Lavinia avec Turnus, là où le texte virigilien n’évoque qu’une promesse de mariage. Cette différence n’est sans doute pas directement attribuable à Honoré Bovet, mais bien à sa source, Martin le Polonais : « Confederati itaque Eneas et Evander contra Latinum regnem, Turnus rex Tuscie, qui fuit gener Latini, eo quod Laviniam filiam eius haberet in uxorem »52. Les deux textes qui nous intéressent reprennent cette variante narrative, dans une proximité qui rend frappant l’emprunt du marquis de Saluces :

Arbre des batailles (p. 102)

Chevalier errant (p. 406-407)

Si en fist le roy Dolbandre et celui Enee convenances contre le roy Latin, maiz le roy de Toscane lequel avoit a femme la fille du roy Latin lui vint en aide.

Si fist le roy Olbandre et celui Enee convenances contre le roy Latin, mais le roy de Costane, lequel avoit a femme la fille du roy Latin, lui vint en aide.

20Nous avons déjà mentionné l’indépendance qu’affiche parfois Honoré Bovet par rapport à sa source, et le récit énéen ne fait pas exception. En effet, puisqu’il marie Lavinia à Turnus, il trouve une nouvelle épouse à Énée en inventant une fille au roi Évandre. Ce faisant, c’est elle, et non Lavinia, qui devient la mère de Silvius Posthumus. Thomas de Saluces relaye presque mot pour mot la même information :

Arbre des batailles (p. 102-103)

Chevalier errant (p. 407)

Donc Eneas prist aprés pour femme la fille au roy Dolbandre, si lui vint le roiaulme pour cellui mariage. Et son filz Escain si prist la cité et la seingnourie aprés sa mort et la cité d’Alba et de Reys, si regna Escan par l’espace de xxviij ans. Maiz celle damme la femme de Enee si demoura ensainte d’un enfent qui ost nom Sylvin pour ce qu’il fut nourrys es bocaiges, et si fut roy aprés l’autre et regna par l’espace de xxx ans.

Dont Eneas prist aprés pour femme la fille du roy Olbandre. Si lui vint le royaume par cellui mariage, et son filz Estan prinst la cité et la seingnorie aprés sa mort, et la cité d’Albareys. Si regna Estan l’espace de .xxviij. ans. Mais celle dame, la femme de Enee, demoura ençainte d’un enfant qui ot nom Silvii pour ce qu’il fut nourri en boscagez, et si fut roy aprés l’autre l’espace de .xxx. ans.

  • 53  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xix.
  • 54  J.-C. Mühlethaler, Énée le mal aimé…, opcit. n. 14, p. 100.
  • 55  À ce propos, voir ibid., p. 93 et K. Busby, « La bibliothèque », art. cit. n. 6, p. 31‑33.
  • 56  J.-C. Mühlethaler, Énée le mal aimé…, opcit. n. 14, p. 95.

21Cette modification assez flagrante de la trame virgilienne est assez difficile à expliquer. Il est possible que, sur le plan diégétique, Honoré Bovet ait trouvé illogique de donner à Énée la femme de son ennemi. Une seconde hypothèse, politique cette fois, découle de la première : en effet, comme l’auteur de l’Arbre des batailles vit « à [une] époque marquée par la guerre avec l’Angleterre »53, il ne serait pas étonnant qu’il ait décidé de marier Énée avec une alliée plutôt qu’avec la fille et la veuve de ses ennemis. Les auteurs sont effectivement nombreux à avoir été influencés par la guerre de Cent Ans au point de modifier les récits afin de condamner la traîtrise et les mauvais comportements54. Thomas de Saluces lui-même présente d’abord Énée comme un traître lors de l’arrivée du chevalier à la cour de Fortune : « On me respondi que ce sont Antenor et Eneaz. Ces .ij. furent conservez pour rendre compte des autres traïctours, et pour tel ne furent derochiez » (Chevalier errant, p. 367). Le prince piémontais étant très sensible à la trahison en raison de son histoire personnelle55, il n’est pas étonnant de le voir emprunter – quoi que pour des raisons différentes – le chemin de nombreux auteurs ayant vécu les conflits de la guerre de Cent Ans. Mais s’il arrive à Thomas de Saluces de « moduler certains détails de manière personnelle »56 en raison de son expérience, force est de rappeler qu’il ne modifie en aucun cas le récit énéen, le gardant tel qu’il le puise chez Honoré Bovet.

22Cet épisode n’est qu’un exemple parmi d’autres passages et la reprise textuelle du second livre de l’Arbre des batailles se vérifie aussi par la réutilisation de renvois servant à évoquer les récits de Troie, d’Alexandre ou de Lancelot, où Thomas de Saluces reprend mot à mot le texte d’Honoré Bovet.

Arbre des batailles

Chevalier errant

Ce fut aprés la destruccion de Troye iijc et xxx ans, et si ne me plaist mie a mettre la destruccion de celle cité en cestui livre, car le livre que on appelle Troyens si en parle trop longuement (p. 100-101).

Maiz en ceste partie ne diray je rien du royaume de Macedoine, car il fut commencié du roy Alixandre et de ses fais est un grant livre lequel je n’é mye empris de cy mettre (p. 98).

Toutefois je n’é mie entrepris de mettre touz les royz avecques leurs batailles, car lez hystoires rommaines sont du gros du Livre de Lancelot et plus gros encore (p. 110).

Ce fu aprés la destruccion de Troye troys cenz et .xxx. ans, et si ne me plaist mie a mectre la destruccion de celle cité en cestui livre, car le livre que on dist Troyens en parle trop legierement (p. 406).

Mais en ceste partie ne dis je riens du royame de Macedoine, car il fut commencié du roy Alixandre, et de ses fais est un grant livre, lequel je n’ay mie empris de cy mettre (p. 405).

Touteffois je n’ay mie entrepris de mectre tous les roys avecques leurs bataillez, car les histoires rommainez sont du groz du Livre de Lancelot et plus (p. 409).

  • 57  F. Bouchet, Le discours…, op. cit. n. 2, p. 151.
  • 58  A. Salamon, « Le Traictié des Neuf Preux », art. cit. n. 42.

23Ces renvois à des œuvres médiévales reconnaissables – les Romans de Troie, d’Alexandre et de Lancelot – ont été considérés par la critique salucienne comme l’affirmation d’« un certain souci critique, tant dans la disposition que dans le choix de ces matières »57. Il n’en demeure pas moins que nombre de ces références proviennent non pas de Thomas de Saluces, mais de la source qu’il utilise. La lecture comparée du Chevalier errant et de l’Arbre des batailles tend néanmoins à suggérer que ces références ont parfois pu provenir non pas de la lecture directe de l’œuvre à laquelle il renvoie, mais par la récupération, indirecte, des renvois qu’il croise dans sa source et qu’il reprend. Cette façon de procéder témoigne bien des pratiques de compilation qu’utilise le prince piémontais et qui soulignent également l’importance d’une autonomisation du savoir en français. En effet, à travers l’Arbre des batailles, il se réfère à des œuvres en français pour traiter d’Alexandre et des Troyens, faisant en sorte que « différentes strates d’autorités peuvent se superposer si le compilateur a lui-même recours non seulement aux œuvres originales en latin mais également à des œuvres intermédiaires en latin ou en langue vernaculaire »58. Thomas de Saluces s’inscrit dès lors dans une longue lignée de compilateurs d’histoire ancienne qui passent par des œuvres intermédiaires pour relater leurs propos. Cela dit, il nous semble qu’il pratique ici, avec ce remploi des renvois, une compilation « à peu de frais » : en reprenant plusieurs renvois à une seule et même source (l’Arbre des batailles), il donne l’impression de « compiler » plusieurs œuvres et traditions. Après tout, la critique a glorifié à de nombreuses reprises ses innombrables lectures, alors qu’en fait, il a plutôt trouvé une façon économique de multiplier les renvois.

  • 59  Le Texte dans le texte. L’interpolation médiévale, éd. A. Combes et M. Szkilnik, Paris, Classiques (...)
  • 60  A. Rochebouet, « L’interpolation, entre insertion et compilation. La traduction des Héroïdes dans (...)
  • 61  F. Bouchet, « Héroïnes et mémoire familiale dans le Chevalier errant de Thomas de Saluces », Clio. (...)
  • 62  J.-C. Mühlethaler, « Entre la France et l’Italie », art. cit. n. 13, p. 192.
  • 63  Nous n’excluons pas la possibilité que cette partie ajoutée provienne d’une version particulière d (...)

24Même si l’auteur du Chevalier errant suit de près le texte de l’Arbre des batailles, il y fait tout de même quelques additions à l’instar d’Honoré Bovet, qui ajoutait parfois des éléments à sa traduction de Martin le Polonais. Ces additions sont difficiles à remarquer à moins d’avoir sous les yeux les deux ouvrages et de pouvoir procéder à leur collationnement. C’est alors plutôt « l’analyse critique »59 qui permet de remarquer les ajouts de Thomas de Saluces, puisqu’il fait « le choix de fondre [ses] intervention[s] dans le texte de départ »60. À un moment en particulier, il interrompt son récit, changeant complètement de sujet : il y insère l’histoire de Griselidis, qu’il place entre la naissance d’Alexandre le Grand et la mention rapide de ses conquêtes en Orient. Cet extrait nous semble relever davantage d’une alternance des récits que d’une interpolation, d’autant plus que l’épisode sur Griselidis est largement amplifié par l’auteur du Chevalier errant, sans qu’il le reprenne tel quel61. Par ailleurs, le marquis de Saluces semble intervenir tout particulièrement dans le segment concernant Jules César, personnage auquel il accorde une certaine importance62. L’auteur l’introduit lui-même, ce qui l’éloigne momentanément du texte d’Honoré Bovet. La première addition survient après l’éloge de Pompée. L’auteur du Chevalier errant coupe une grande partie sur César, plus précisément sa conquête des Gaules, et insère un développement original, soit l’annonce des signes de sa mort ainsi qu’une petite glorification à l’égard du dictateur – après quoi il renoue avec le texte de sa source63 :

Arbre des batailles

Chevalier errant

Si tenoit encore monseingneur Pompee le consulz vaillant la guerre es parties d’Orient esquelles il ot en son temps plusseurs batailles avec xij roys lezquieulx ne guaingnerent guaires avecques lui ne avecques sa gent, car ilz estoient sages en armes. Et avecques ce il estoit fort et hardy, si avoit cuer de lyon ne pour riens qu’il veist il ne se desconfortoit point. Et si avoit touzjours compaingnie de bonnes gens d’armes dont il avoit assés confort (p. 144).

[Rubrique] Ci parle de monseingneur Julius Cesar, comment trois provinces le firent leur droit seigneur : le xve (p. 144).

[Partie coupée par Thomas de Saluces]

Si devez savoir que, quant il ot gouverné la seingnourie de Romme par iij ans après ce qu’il vint d’Espaingne, aucuns faulx et desloiaux de la cité de Romme eurent tant grant envie sur lui qu’i ne finoient ne cessoient ne nuyt ne jour de traittier de sa destruccion et de sa mort et par especial un qui s’appelloit Bruth et un autre encien homme qui s’appelloit Casse (p. 140).

Si tenoit encore monseingneur Pompee, le consul vaillant, la guerre es partiez d’Oriant, esquelles il ot en son temps plusieurs bataillez avec .xij. roys, lesqueulx ne regnerent guerez avec lui ne avec sa gent, car ilz estoient sagez en armez, et avec ce, ilz estoient fors et hardis ; et si avoit bon cuer de lyon, ne pour riens qu’il veist ne se desconffortast, et si avoit touzjours compaingnie de bonnez gens dont il avoit assés confort (p. 432).

Aprés advint que monseingneur Julius Cesar fist mains grans fais que ailleurs oÿ avez, ainsi comme je espoir, et plus n’en raconteray a ceste foys, car je ne pourroie tant dire que plus en y a, mais seullement d’aucuns grans signez qui vindrent a Romme devant sa mort et de sa mort aussi vous raconteray.

Si vous dy que Julius Cesar fut trop vaillant et redoubté et plains de toutes courtoisiez, et bien amé et redoubté de toute gent, tant que je ne pourroie dire les biens que les docteurs dient de lui ; et si me fait mal le cuer de raconter sa mort, mais faire le fault pour venir a mon propoz (p. 432).

Si devez savoir que, quant il ot gouverné la seingnourie de Romme trois ans après qu’il vint d’Espaingne, aucuns faulz et desloyaulz de Romme orent tant grant envie sur lui qu’ilz ne finoient ne cessoient de traictier sa mort, et par especial .i. qui s’appelloit Brut et un ancien qui s’apelloit Tasse (p. 432).

25Il semble clair que la mort de Jules César et les présages qui l’entourent intéressent davantage l’auteur du Chevalier errant que la conquête militaire de la Gaule. Il convient également de souligner que Thomas de Saluces, même en modifiant le texte-source, adopte les formulations de celui à qui il emprunte : tout comme il l’avait fait pour Pompée, il renvoie à Jules César par monseigneur et parle au « je », comme le fait parfois Honoré Bovet. Par conséquent, bien que substantiel, ce remplacement passe relativement inaperçu pour quiconque n’a pas l’Arbre des batailles sous les yeux.

26La seconde addition, présente aussi dans le récit césarien, relève d’abord de la forme et ensuite du contenu. Elle est un peu plus évidente à discerner, puisqu’elle consiste en une adresse au chevalier. Dans sa partie d’histoire romaine, Honoré Bovet insère un petit passage en vers traitant de l’imprévisibilité de Fortune. Thomas de Saluces, qui n’est pourtant pas rebuté par l’alternance entre le vers et la prose, ne reprend pas ce passage versifié et, bien qu’il traite tout de même de Fortune, il ne s’inspire pas pour autant des propos de sa source :

Arbre des batailles (p. 153-154)

Chevalier errant (p. 433-434)

Si ne fust mie peu esbahy ycellui homme quant il ouÿ ce dire a son buef et ce ne tarda guaires que messire Julles Cesar fut trahy. Pourquoy me semble que Fortune fait bien quant elle vient // et tost met au dessus un homme et tost le retourne a neant. Et pour ce me plaist il de mettre en celle part un tel dit de Fortune par mainere de vers.

Ci parle comment Fortune est variable : Chapitre xvje

Hector de Troies n’ot per de chevalier

Maiz en la fin il trouva encombrier

Salemon sceust par scïence comprendre

Trestout le sens qu’on pourroit assembler,

Maiz Fortune lui fist femme reprendre

Et Dieu lessier et du tout oblïer.

Julles Cesar le prince tant vaillant

Si receust mort assés villainement.

C’est donc Fortune qui tant fait avencer

Et puis fait la roë tresbuchier.

Ci aprés parle de l’empereur Octovien : xvije

Maintenant dit l’istoire en ceste partie comment, aprés que monseigneur Julles Cesar fust mort, l’an aprés que Romme fust edifiee vc et xj ans, monseigneur Octovien son nepveu filz de son frere vint a Romme pour prendre la seingnourie de son oncle jadis mort. Si estoit il jounez homs quant il fust receus a la seigneurie, si ne commença il mie fait de jeune homme, mais fait d’ancien et de vaillant seingneur fist.

Si ne fut mie pou esbahy ycellui homme quant il oÿ ce dire a son buef et ne tarda gueres que monseingneur Julius Cesar fut trahy. Pour quoy me semble bien fait Fortune quant elle vient et tost met au dessus un homme et tost le retourne a neant ; et pour ce me plaist de mectre en celle part un tel dit de Fortune par maniere de vers.

Mais, sire chevalier, je vous dy que ceste haulte Dame a esté moult amiable et monstré tres grant semblant d’amour a la cité de Romme et a ses princez, et moult hault avoit fondé celle cité pres d’elle et ses princez rommains sus ses sieges assis ; mais maintemant elle het tellement, et de grant temps a commencié, que presque tout a tresuchié de la haute roche en baz.

Mais touteffoys elle prinst plaisir, aprés tout ses fais, a un noble prince qui s’appelle Octovien ; cellui elle assist moult haultement pres d’elle sus un de ses siegez de seurté, lequel se gouverna tellement. Je ne vous fais nul compte de Julius Cesar son nepveu, qui fut devant Octovien et fut son nepveu, dont la seingnorie lui vint que la Dame fist tellement tresbuchier ; cellui fut moult vaillant prince ; ne aussi du bon roy Alixandre, qui ot tantes bontez que la Dame tellement au derrain haÿ, de ces deux ne vous en feray autre compte, car ailleurs avez la declaracion de leurs œuvres, dont cil Octovien, de quoy je vous ay parlé, vint premierement et tellement.

Maintenant dist l’istoire en ceste partie comment, aprés que monseingneur Julez Cesar fut mort l’an aprez que Romme fut ediffiee .vc. et .xj. ans, monseingeur Octovien son nopveu, filz de son frere, vint a Romme pour prendre la seingnorie de son oncle jadis mort. Si estoit il jeunez homs, mais fait d’ancien et de vaillant seingneur fist.

27Thomas de Saluces est clair : trop de récits ont évoqué César et Alexandre et trop peu ont traité d’Octavien qui, pourtant, est assis sur un siège sûr près de Fortune. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle il reprend le fil de sa source avec l’histoire d’Octavien, qui mérite d’être racontée dans la mesure où Octavien, en plus d’être le neveu de César, a été un bon empereur. En outre, ce segment du Chevalier errant s’avère problématique lorsqu’on en fait la lecture seule : Thomas de Saluces annonce des vers qu’il ne cite pas. La lecture comparée avec l’Arbre des batailles permet alors d’expliquer ce passage qui paraît sortir de nulle part. Il reprend l’annonce des vers que fait Honoré Bovet, mais il décide de ne pas réutiliser son poème, préférant s’adresser en prose au chevalier à propos de Fortune.

  • 64  K. Labelle, Sources…, opcit. n. 17, p. 245‑251.

28Les deux insertions ne détournent pas significativement le texte de sa source : le texte est globalement suivi et les interventions se font discrètes, même si la seconde s’affiche un peu plus clairement du fait de l’annonce de vers qui n’arrivent pas. Il n’en reste pas moins que, malgré ces deux interventions de l’auteur du Chevalier errant, tout le contenu de l’histoire romaine qu’il convoque est un emprunt à l’œuvre d’Honoré Bovet. La fidélité manifestée à l’égard de l’Arbre des batailles implique des procédés de compilation actifs depuis le xiiie siècle dans le domaine des œuvres historiographiques. Dans un ouvrage aussi imposant et éclectique que le Chevalier errant, la suppression de passages n’est qu’attendue64.

3. Un remaniement de l’histoire pontificale

  • 65  Tommaso III di Saluzzo, Il Libro del Cavaliere Errante…, éd. cit. n. 1, p. 393‑398.
  • 66  Honoré Bovet, L’Arbre des batailles, éd. cit. n. 21, p. 47‑49.
  • 67  Ibid., p. 62-64.
  • 68  Ibid., p. 78-81.
  • 69  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xxxiv.
  • 70  Honoré Bovet, L’Arbre des batailles, éd. cit. n. 21, p. 69.
  • 71  Ibid.
  • 72  Ibid., p. 70.

29La suppression de segments caractérise également le traitement du premier livre par Thomas de Saluces. Toutefois, s’il a écarté une partie de la conquête des Gaules pour raccourcir l’épisode d’histoire romaine, ce n’est pas un désir de réduire le récit qui anime ici les amputations exécutées au texte de l’Arbre des batailles. En effet, les coupures visent plutôt à retrancher les passages exégétiques qui ne servent pas le propos historiographique vers lequel le prince piémontais souhaite orienter cette section, même si cette dernière est placée tout de suite après un passage repris de l’Apocalypse65. Trois parties sont alors évacuées : une vision de saint Jean66, une digression sur les deux fontaines que sont la volonté divine et la volonté humaine67 et une autre vision, qui élabore une analogie entre les astres et l’Église et ses représentants sur terre (évêques, archevêques et prélats)68. D’autres suppressions sont également repérables dans les portions historiographiques, mais elles s’avèrent généralement plus subtiles et de moindre importance, puisqu’elles ne viennent pas dénaturer le texte-source, contrairement aux coupures des parties d’exégèse qui ont pour effet d’évacuer « l’interprétation personnelle » d’Honoré Bovet, soulignée grâce à des références à la Bible69. Ce faisant, Thomas de Saluces retire les allusions à Martin le Polonais présentes dans l’Arbre des batailles, comme s’il ne voulait pas que le texte qui lui sert de source soit découvert par ses lecteurs (ce qui serait surprenant, puisqu’il n’a aucun problème à reprendre les références de sa source, tel qu’observé antérieurement). Ainsi, les formules « si come dit un doctoeur qui s’appelloit monseigneur Martin »70, « selonc l’oppinion de monseigneur Martin »71 et « duquel fait mencion monseigneur Martin ou Livre des histoires »72 sont complètement éliminées du Chevalier errant, c’est-à-dire tant la référence à Martin le Polonais qu’à son œuvre.

30De toutes les suppressions mineures effectuées par Thomas de Saluces, deux surtout retiennent l’attention. La première concerne un préambule retiré par l’auteur du Chevalier errant qui, ici comme ailleurs, semble pressé d’en venir au fait. Il retire en effet tout ce qui ne concerne pas précisément les papes et leurs faits :

Arbre des batailles (p. 46-47)

Chevalier errant (p. 398)

Aprés saint Pierre vint trompper de sa tromppe monseigneur le pappe Sierge lequel donna plusseurs articles de la creance a toute la sainte crestianté sur la creance de la sainte Trinité. Et pour abregier les parolles je m’en passe ligierement. Car de touz les pappes ainsi pourroie je dire lesquieux furent ou premier trespassement du temps desquieulx un chascun fist une chosse qui bien reconfortoit la sainte loy crestienne, ainsi comme fut monseigneur saint Urbain le premier en celui nom lequel bien trompa de sa trompe quand il commenca de baptisier plusseurs païens.

Aprés vint monseingneur pape Serge, lequel donna articlez de creance a toute crestienté soubz la creance de la Sainte Trinité, et autel fist monseingneur Saint Urbain, le premier en cellui nom, lequel commença a baptizer pluseurs payens.

31Dans cette partie, le marquis de Saluces retire l’intervention d’Honoré Bovet pour enchaîner l’un à la suite de l’autre les faits attribuables aux papes Serge et Urbain Ier. Cette façon de procéder contraste fortement avec son traitement du second livre de l’Arbre des batailles, dont il reprend à plusieurs reprises les formulations à la première personne, notamment au moment où il réutilise les références à d’autres œuvres médiévales. Cette coupure semble alors relever encore d’un désir de raccourcissement plutôt que d’une réticence à reprendre les énoncés au « je » de sa source. La deuxième suppression, quant à elle, affecte la chronologie dans la mesure où elle retire un pape du passage :

Arbre des batailles (p. 49)

Chevalier errant (p. 399)

Aprés monseigneur le pappe Clement en yceli nom le premier fut getté en la mer et noité. Aprés du commendement de l’empereur Trayen monseigneur le pappe Anaclet fu mis a mort en la cité de Romme. Si fut aprés mort le pappe c’on appelloit monseigneur Calixte. Si fut aprés monseigneur Calixte qui perdi le chief hors de la cité de Romme. Aprés lui fut monseigneur Theolofore lequel fut mis a mort par lez Rommains.

Et monseingneur pape Clement, le premier en cellui nom, qui fut gecté en la mer et noyé par le commandement l’empereur Troyen; monseingneur le pape Anaclet la aussi mort en la cité de Romme; aprés fu pape Thelofore, lequel fut mis a mort par les Rommains.

32Le segment concernant le pape Calixte et sa décapitation se voit complètement évacué. Nous ne pouvons dire avec certitude s’il s’agit d’une lacune du manuscrit utilisé par Thomas de Saluces, d’une erreur de copie ou d’un choix critique. Il n’en reste pas moins qu’une lecture comparée des textes permet de réaliser que l’absence du pape Calixte retire un argument à la démonstration des pontifes tués à Rome ou par les Romains.

33Outre les suppressions de segments qui caractérisent l’emploi des deux premiers livres de l’Arbre des batailles par Thomas de Saluces, on retrouve également, dans cette partie d’histoire pontificale, de nombreuses reformulations, procédé auquel l’auteur du Chevalier errant ne recourt pas dans son utilisation du second livre pour traiter du récit de Rome. Les réécritures opérées peuvent se révéler mineures – lorsque quelques mots ou expressions diffèrent, mais que le sens de la phrase demeure le même – ou bien elles peuvent être plus importantes : si le propos final demeure le même, il est énoncé différemment. Parmi les reformulations que nous considérons comme mineures, nous retrouvons certaines expressions modifiées par le prince piémontais, notamment la formule monseigneur dont Honoré Bovet se sert pour désigner un pape et que Thomas de Saluces remplace systématiquement par pape :

Arbre des batailles (p. 50)

Chevalier errant (p. 399)

Et si vindrent aprés touz lez autres papes lesquieulx je vous nommeray qui touz furent mors de male mort, c’est assavoir monseigneur Sierge et monseigneur Pinus, monseigneur Aniset, monseigneur Sother, monseigneur Alenthere, monseigneur Victor, monseigneur Theseri, monseigneur Urbain le premier en celui nom, monseigneur Pons, monseigneur Curiac, monseigneur Fanthere, monseigneur Fabien, monseigneur Corneli, monseigneur Luce, monseigneur Estienne, monseigneur Sixte le secont, monseigneur David, monseigneur Felix le premier, monseigneur Lucien, monseigneur Gay, monseigneur Marcellin, monseigneur Marcel, monseigneur Anthere, monseigneur Melthiodes lesquieux furent touz pappes de Romme.

Si vindrent aprés tous les papez que je vous nommeray, qui tous furent mors de male mort, c’est assavoir : pape Serge, pape Puniz, pape Aniset, pape Sother, pape Aleutheure, pape Victor, pape Theseri, pape Urbain, le premier en cellui nom, pape Pons, pape Curiat, pape Fanthere, pape Fabien, pape Corneli, pape Luce, pape Estienne, pape Sixte le second, pape David, pape Felix le premier, pape Lucien, pape Gay, pape Marcellin, pape Marcel, pape Anthere, pape Melchiodez, lesqueulz furent tous papez de Romme.

34Si le terme monseigneur n’a jamais gêné le prince piémontais dans sa réutilisation du second livre, il semble plutôt réticent à l’employer pour traiter des papes, modification mineure qui n’atteint pas le sens de la phrase (et permet tout au plus une économie en termes d’espace).

35Nous pourrions dire la même chose des reformulations mineures qui s’échelonnent sur une phrase. Elles sont nombreuses et parsèment l’entièreté de la reprise du premier livre de l’Arbre des batailles. Ces réécritures ont le plus souvent pour but d’abréger le propos d’Honoré Bovet, qui, pour le récit d’histoire pontificale, a sans doute paru s’éterniser pour l’auteur du Chevalier errant : Thomas de Saluces ne reprend que ce qui lui sert, à savoir les faits des papes. Dans un extrait résumant la succession des empereurs du Saint-Empire romain germanique, il reformule par exemple sa source d’une manière qui tend à suggérer qu’il cherche à « faire court » :

Arbre des batailles (p. 74-75)

Chevalier errant (p. 402)

[…] la dignité impérial en laquelle fut pour celui temps l’empereur Henry le tiers en celui nom, lequel soustint a son povoir celui antipape. Tout aussi fu en celui quart espace de temps l’empereur Henry le iiije en celui nom lequel mist en prison le bon pappe monseigneur Pascal et touz les seigneurs cardinaulx. Tout aussi fist l’empereur Frederic le premier en celui nom lequel fut forment encontre sainte Eglise. Mais encore fut l’empereur Fredereic le ije en celui nom lequel assés houtrageussement greva sainte Eglise.

Dont aprés fut l’empereur Henri le tiers qui soustint l’erreur contre le pape ; puis vint l’empereur Henri le quart, lequel prinst le bon pape Pascal et tous les seigneurs cardinaulz et les mist en prison, et puis vint l’empereur Fedric le premier, qui fut fort contre l’eglise par males informacions, et Fedric le second ensievant, qui aussi moult greva.

  • 73  Les deux autres reformulations majeures se retrouvent aux lignes 5133 à 5138 (ce qui correspond à (...)

Trois passages se distinguent cependant sur le plan de la réécriture puisque les modifications opérées ont cette fois des répercussions significatives. Il s’agit de moments où l’auteur de l’Arbre des batailles propose des commentaires de textes bibliques, que Thomas de Saluces tente de contourner – le passage où Honoré Bovet fait référence à la première vision de saint Jean est révélateur de cette contorsion73 :

Arbre des batailles (p. 51-52)

Chevalier errant (p. 399)

Si devez savoir par l’atendement de ceste vision commant le deable, depuis qu’il cheï du ciel, toujours s’est efforcé de faire division en la sainte Eglise. Et pour ce premierement il fit contre elle ce qu’il peust faire pour la mettre au bas et a neant a l’aide dez princes et dez seingneurs de la terre, ainsi comme bien l’avez veu en la premiere vision. Mais quant il vit que par telle manière n’avrait il mie son entente, car quant plus y avoit de martirs, et plus l’Eglise estoit forte, et la ou plus estoit forte la persecucion contre l’Eglise, et plus crestianté croissoit, quant il vit cela, il laissa celle maniere de guerroier contre l’Eglise et si prist une autre guise de guerroier, c’est assavoir de semer erreurs et heresies contre la foy.

Lors le deable, par noz pechiés et ennortement de ceste Dame Fortune, se avisa de faire division en ceste sainte eglise, et ce a il tousdiz fait depuis que par son pechié chaÿ du ciel ; et ce avisa il pour la mectre a neant, car c’est nostre propre fondement que sainte eglise. Donc, a ce faire, il prinst l’aide des princez et des seingneurs de la terre, ce firent mains seingneurs qu’il mist en grandez heresiez et erreurs, et les moist en voulanté de faire martirier et morir les tenans la loy crestienne. Mais, quant il vit que par telle voye il ne pouoit son fait acomplir, ne venir a son entente, car, quant plus en y avoit de martiriez, tant plus estoit forte l’eglise, et la ou plus forte estoit la persecucion, tant estoit la sainte foy crestienne plus essauciee, et quant le deable vit que par telle manere ne pouoit son fait vaincre, il prinst une autre maniere et commença a semer erreurs et heresiez contre la sainte foy.

36Le marquis de Saluces évacue la référence explicite à la première vision de saint Jean, mais il conserve tout de même cette partie se rattachant à l’exégèse chrétienne, qu’il adapte afin de mieux la raccorder à la situation de son protagoniste. En effet, on lit plutôt que l’exhortation de Dame Fortune a déterminé les actions du diable contre la sainte Église. L’auteur du Chevalier errant place le propos d’Honoré Bovet sous l’égide de Fortune, liant par le fait même l’exégèse de l’Arbre des batailles (exceptionnellement conservée) à sa diégèse : l’histoire de la papauté est précisément racontée alors que le chevalier se trouve à la cour de Fortune, maintenant ciblée comme origine des maux de l’Église.

  • 74  K. Labelle, Sources…, opcit. n. 17, p. 4.
  • 75  A. Salamon, « Palingénésie des premiers livres bibliques dans quelques histoires universelles du x (...)
  • 76  F. Bouchet, Le discours…, op. cit. n. 2, p. 153.

37Force est de constater que le mécanisme de réutilisation du premier livre de l’Arbre des batailles diffère du remploi textuel de l’histoire romaine du second livre de l’œuvre d’Honoré Bovet. Si l’on exclut les suppressions du contenu exégétique, le propos repris par Thomas de Saluces demeure le même que celui de sa source, même s’il se permet des reformulations. Cette pratique d’écriture basée sur la réécriture et le recyclage74 est mise au service du but recherché par l’auteur. En effet, certains auteurs de sommes historiographiques du xve siècle vont se démarquer « par une volonté de réorganiser la matière, voire de la réorienter en fonction d’un projet spécifique »75. Cette affirmation vaut déjà pour Thomas de Saluces, à la fin du xive siècle, chez qui on remarque cette tangente vers l’appropriation du contenu historiographique dans l’intention de servir l’objectif de son œuvre : intégrer un segment d’historiographie à son ouvrage. De plus, si le prince piémontais veut réussir à « faire du bref dans du long »76, il n’a pas d’autres choix que de couper les passages qui ne viennent pas servir son propos et, par conséquent, de reformuler les phrases trop longues pour qu’elles soient plus succinctes et d’opérer des changements lorsqu’il veut éviter de s’attarder sur la matière exégétique.

***

  • 77  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xx et Honoré Bovet, L’Arbre des batail (...)

38La lecture comparée du Chevalier errant et de l’Arbre des batailles fait apparaître des différences de traitement d’une même source par un auteur. Le renvoi à une source d’origine (Orose) par le biais d’intermédiaires (Honoré Bovet et Martin le Polonais) est une pratique commune des textes à vocation compilatoire et encyclopédique, et il n’est guère surprenant de retrouver le procédé chez Thomas de Saluces. Pourtant, même si c’est à Orose que l’auteur du Chevalier errant prétend renvoyer, c’est une œuvre plus récente, qui lui est contemporaine, qu’il convoque. L’Arbre des batailles n’est certainement pas aujourd’hui une œuvre reconnue pour sa valeur historiographique, ce type de récit n’occupant qu’une petite partie d’une œuvre qui se veut surtout une somme encyclopédique traitant du droit de la guerre : c’est d’abord l’état lamentable de l’Église, la guerre en Provence (la région natale d’Honoré Bovet) et les guerres entre les chrétiens qui le poussent à entamer l’écriture de son œuvre77. Toutefois, ce sont peut-être ces raisons qui ont interpellé Thomas de Saluces, dont la région était elle aussi en proie à la guerre, le marquisat de Saluces devant se défendre contre les tentatives d’invasion des ducs de Savoie. Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins que l’auteur du Chevalier errant puise dans une grande partie de cette œuvre et qu’il utilise les deux premiers livres d’une manière contrastée. Il remanie le livre i, supprimant, reformulant et réécrivant certains passages, alors qu’il utilise scrupuleusement le texte du second livre pour établir son épisode d’histoire romaine, et seules quelques différences mineures entre les deux récits sont observables, dont des suppressions (procédé naturel de la compilation) et des insertions, qui permettent à Thomas de Saluces d’ajuster le récit emprunté à la visée qu’il souhaite donner à son texte.

  • 78 A. Salamon, « Le Traictié des Neuf Preux », art. cit. n. 42.
  • 79 F. Bouchet, Le discours…, op. cit. n. 2, p. 142.

39La réutilisation presque exacte de l’histoire romaine témoigne de surcroît d’une certaine autonomisation du savoir historique en français, ce que vient prouver la « cicatrice » d’emprunt que constitue le renvoi à un passage en vers… qui ne vient jamais. Le remaniement du premier livre témoigne lui aussi de ce phénomène d’autonomisation, puisque le prince piémontais n’hésite pas à couper les parties qui ne lui servent pas et à reformuler ce qui lui convient le moins. Le savoir historique, dès la seconde moitié du xiiie siècle, mais plus encore aux xivet xve siècles, s’établit en effet souvent à partir de « références de seconde main […] apportant à un texte récent la caution et la garantie des auteurs anciens »78 et Thomas de Saluces, en reprenant le texte d’Honoré Bovet, affiche dès lors une double posture : il s’inscrit dans la lignée des compilateurs puisqu’il est « un écrivain qui dépend des écrits d’autrui »79, mais il s’en distingue dans la mesure où il n’utilise pas directement les sommes historiographiques habituellement convoquées (HAC, Faits des Romains, Chronicon, Orose), préférant l’Arbre des batailles pour établir son récit d’histoire romaine. Il est alors probable que d’autres textes-sources inhabituels se trouvent dans le Chevalier errant, puisque la liste de lecture du marquis de Saluces contient manifestement des œuvres surprenantes pour un lectorat moderne.

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Notes

1  Tommaso III di Saluzzo, Il Libro del Cavaliere Errante (BnF ms. fr. 12559), éd. M. Piccat, trad. it. E. Martinengo, Boves, Araba Fenice, 2008. Nous utiliserons cette édition pour tous les extraits cités.

2  F. Bouchet, Le discours sur la lecture en France aux xive et xve siècles : pratiques, poétique, imaginaire, Paris, Champion, 2008, p. 151.

3  Ibid.

4  R. Trachsler, compte rendu de R. Fajen, Die Lanze und die Feder. Untersuchungen zum « Livre du chevalier errant » von Thomas III., Markgraf von Saluzzo, Wiesbaden, Reichert, 2003, Romania, 124, 2006, p. 245‑248, en part. p. 245.

5  Thomas III. von Saluzzo, Le livre du Chevalier errant, éd. R. Fajen, Wiesbaden, Reichert, 2019, p. xxxiv.

6  K. Busby, « La bibliothèque de Tommaso di Saluzzo », « Qui tant savoit d’engin et d’art ». Mélanges de philologie médiévale offerts à Gabriel Bianciotto, éd. C. Galderisi et J. Maurice, Poitiers, Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, 2006, p. 31‑39, en part. p. 38.

7  De plus, Marco Fantoni montre que le débat entre Achille et Hector proviendrait de la seconde rédaction du Roman de Troie, dont la production italienne est attestée (M. Fantoni, « L’importanza delle fonti in versi nella tradizione manoscritta dello Chevalier errant di Tommaso III di Saluzzo », Medioevo romanzo, 23, 1999, p. 210‑228). Nous renvoyons également à l’article de F. Bouchet, « De la lecture à l’écriture : quelques modes de transfert dans le Chevalier errant de Thomas de Saluces », Bien dire et bien aprandre, 13, 1995, p. 217‑235, en part. p. 218.

8  R. Trachsler, Disjointures-conjointures. Étude sur l’interférence des matières narratives dans la littérature française du Moyen Âge, Tübingen-Bâle, Francke, 2000, p. 325‑365.

9  Tommaso III di Saluzzo, Il Libro del Cavaliere Errante…, éd. cit. n. 1, p. 404.

10  L’histoire pontificale se retrouve aux p. 398‑403 et l’histoire romaine aux p. 404‑434.

11  Il s’agit du nom donné par Paul Meyer dans son article fondateur « Les premières compilations françaises d’histoire ancienne », Romania, 14, 1885, p. 1‑81.

12  Bien que composée à partir de nombreuses sources, notamment la Vulgate, Eusèbe de Césarée, Flavius Josèphe, Darès le Phrygien, Virgile et bien d’autres, l’auteur le plus utilisé reste Orose, qui sert de fondement à sept sections de l’HAC sur dix (voir A. Rochebouet, « D’une pel toute entiere sans nulle cousture ». La cinquième mise en prose du « Roman de Troie », édition critique et commentaire, thèse de doctorat, Paris, Université Paris-Sorbonne, 2009, p. 16). Concernant les sources de l’HAC, nous renvoyons également à l’article de M. T. Rachetta, « Sull’Histoire ancienne jusqu’à César : le origini della versione abbreviata ; il codice Wien ÖNB cod. 2576. Per la storia di una tradizione », Francigena, 5, 2019, p. 27‑57.

13  K. Busby, « La bibliothèque », art. cit. n. 6, p. 37 ; F. Bouchet, Le discours…, opcit. n. 2, p. 152 ; J.‑C. Mühlethaler, « Entre la France et l’Italie. Jules César chez Thomas III de Saluces et Eustache Deschamps », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 14, 2007, p. 191‑205, en part. p. 192.

14  Voir aussi J.-C. Mühlethaler, Énée le mal aimé. Du roman médiéval à la bande dessinée, Paris, Les Belles Lettres, 2016, p. 94‑95 ; M. B. Winn, Anthoine Vérard Parisian Publisher, 14851512. Prologues, Poems and Presentations, Genève, Droz, 1997, p. 105‑107 ; A. Rochebouet, « Mise en texte, macrostructure et organisation du temps. L’Histoire ancienne jusqu’à César, des manuscrits aux imprimés », Studi francesi, 192, 2020, p. 555‑563.

15  F. Bouchet, Lire, voir, écrire au xive siècle : étude du « Livre du Chevalier errant » de Thomas de Saluces, thèse de doctorat, Paris, Université Paris-Sorbonne, 1995. La thèse étant malheureusement inédite, nous ne pouvons cibler les pages où elle émet cette hypothèse.

16  On dénombre, toutes rédactions confondues, environ 85 manuscrits conservés, ce qui fait état de l’importante popularité dont jouit l’HAC.

17  A. Rochebouet, La cinquième mise en prose…, opcit. n. 12, p. 39 ; J.-C. Mühlethaler, Énée le mal aimé…, opcit. n. 14, p. 96 ; K. Labelle, Sources et autonomisation du savoir historique en français : l’exemple des récits autour d’Énée dans les histoires universelles médiévales, mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, 2018, p. 265‑277 ; A. Salamon, Écrire les vies des Neuf Preux et des Neuf Preuses à la fin du Moyen Âge. Étude et édition critique partielle du « Traité des Neuf Preux et des Neuf Preuses » de Sébastien Mamerot (Josué, Alexandre, Arthur ; les Neuf Preuses), thèse de doctorat, Paris, Université Paris-Sorbonne, 2011, t. 1 ; F. Huber, « L’Histoire ancienne jusqu’à César, source du Livre de la mutacion de Fortune de Christine de Pizan », Au champ des escriptures. iiie Colloque international sur Christine de Pizan (Lausanne, 1822 juillet 1998), éd. E. Hicks, D. Gonzalez et P. Simon, Paris, Champion, 2000, p. 161‑174.

18  A. Rochebouet, « De la Terre sainte au Val de Loire : diffusion et remaniement de l’Histoire ancienne jusqu’à César au xve siècle », Romania, 134, 2016, p. 169‑203. Nous renvoyons également à l’ouvrage plus récent de M. Cambi, L’«Histoire ancienne jusqu’à César » in Italia. Manoscritti, tradizioni testuali e volgarizzamenti, Pise, Pacini, 2020.

19  J. Leeker, Die Darstellung Cäsars in den romanischen Literaturen des Mittelalters, Francfort, Klostermann, 1986, p. 65, 289 et 391 et C. Segre, « Perché Gualtieri di Saluzzo odiava le donne ? », Studi di filologia medievale offerti a D’Arco Silvio Avalle, éd. L. Leonardi et S. Orlando, Milan-Naples, Ricciardi, 1996, p. 445‑451, en part. p. 448.

20  J. Leeker, Die Darstellung Cäsars…, opcit., p. 65, 289 et 391.

21  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », Honoré Bovet, L’Arbre des batailles, éd. Ead., Genève, Droz, 2017, p. i-cxxii, en part. p. xvi.

22  Ibid.

23  Dans le sud de la France, « les élites sont bilingues » (C. Marchello-Nizia, Histoire de la langue française aux xive et xve siècles, Paris, Bordas, 1979, p. 30). Il n’est alors guère surprenant de constater qu’Honoré pouvait maîtriser ces deux langues en plus du latin.

24  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xix.

25  Selon Frédéric Duval, avec la codicologie quantitative, on peut estimer qu’une œuvre médiévale en français a été un « succès littéraire » si on conserve aujourd’hui plus de 50 copies (F. Duval, Lectures françaises de la fin du Moyen Âge. Petite anthologie commentée de succès littéraires, Genève, Droz, 2007, p. 11‑14).

26  « Annonce » est le terme qu’utilise Hélène Biu pour parler de cette mention explicative qui se retrouve avant la table des rubriques dans la plupart des manuscrits (H. Biu, « Prolégomènes à une édition critique de l’Arbre des batailles et de ses traductions en langues romanes (occitan, catalan, castillan) », Revue d’histoire des textes, n. s. 2, 2007, p. 211‑249, en part. p. 220‑224).

27  Honoré Bovet, L’Arbre des batailles, éd. cit. n. 21, p. 3.

28  « A la sainte couronne de France, en laquelle au jour d’uy par l’ordenance de Dieu regne Charles le vje en ycelui nom, tresbien amé et par tout le monde redoubté » (ibid., p. 31).

29  H. Biu, « Prolégomènes », art. cit. n. 26, p. 213.

30  Ibid.

31  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xxxviii.

32  Ibid., p. xxi.

33  Ibid.

34  Ibid., p. xl-xli.

35  Ibid., p. xl.

36  Nous renvoyons aux paragraphes suivants.

37  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xl.

38  Ibid., p. xxv.

39  Pour la démonstration, voir ibid., p. xxv et xli.

40  Par exemple, au passage qui traite des quatre royaumes : « Sicut ergo dicit Orosius ad beatum Augustinum scribens » (Martini Oppaviensis, « Chronicon summorum pontificum et imperatorum », éd. L. Weiland, Monumenta Germaniae Historica, Hannover, Hahn, 1872, p. 398). En tout, le Chronicon nomme neuf fois Orose (R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xli).

41  Ibid.

42  A. Salamon, « Le Traictié des Neuf Preux de Sébastien Mamerot : gérer l’autorité dans une compilation au second degré », Memini, 21, 2017, à l’URL : http://journals.openedition.org/memini/881.

43  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xxxv.

44  Ibid., p. xxiv.

45  B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier, 20112 [1980], p. 277.

46  Tommaso III di Saluzzo, Il Libro del Cavaliere Errante…, éd. cit. n. 1, p. 370‑373.

47  Ibid., p. 406 sq.

48  Orose, Historiæ adversus paganos, éd. M.-P. Arnaud-Lindet, Paris, Les Belles Lettres, 1990, i, 18, 1.

49  J. Monfrin, « Les translations vernaculaires de Virgile au Moyen Âge », Lectures médiévales de Virgile. Actes du colloque de Rome (2528 octobre 1982), Rome, École Française de Rome, 1985. p. 189‑249, en part. p. 202 et C. Croizy-Naquet, Écrire l’histoire romaine au début du xiiie siècle, Paris, Champion, 1999, p. 21.

50  La Chronique dite de Baudouin d’Avesnes réduit considérablement le texte de l’HAC, mais les similitudes sont très importantes et il n’est pas à douter que le texte dont elle se sert est celui de l’HAC (K. Labelle, Sources…, op. cit. n. 17, p. 96‑110, 252‑259 et 322‑344). Tout comme dans la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes, Thomas de Saluces conserve la trame de base : la fuite de Troie, la mort d’Anchise en Sicile, l’arrêt à Carthage et les conquêtes en Italie.

51  Il existe également une version catalane de l’Arbre des batailles, qui est postérieure à la rédaction de la version en français. Notons que les noms y demeurent similaires à ceux trouvés dans les versions française et occitane.

52  Martini Oppaviensis, Chronicon, éd. cit. n. 40, p. 399.

53  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xix.

54  J.-C. Mühlethaler, Énée le mal aimé…, opcit. n. 14, p. 100.

55  À ce propos, voir ibid., p. 93 et K. Busby, « La bibliothèque », art. cit. n. 6, p. 31‑33.

56  J.-C. Mühlethaler, Énée le mal aimé…, opcit. n. 14, p. 95.

57  F. Bouchet, Le discours…, op. cit. n. 2, p. 151.

58  A. Salamon, « Le Traictié des Neuf Preux », art. cit. n. 42.

59  Le Texte dans le texte. L’interpolation médiévale, éd. A. Combes et M. Szkilnik, Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 11.

60  A. Rochebouet, « L’interpolation, entre insertion et compilation. La traduction des Héroïdes dans la cinquième mise en prose du Roman de Troie », ibid., p. 123‑141, en part. p. 124.

61  F. Bouchet, « Héroïnes et mémoire familiale dans le Chevalier errant de Thomas de Saluces », Clio. Histoire, Femmes et Sociétés, 30, 2009, à l’URL : https://journals.openedition.org/clio/9420#bodyftn34.

62  J.-C. Mühlethaler, « Entre la France et l’Italie », art. cit. n. 13, p. 192.

63  Nous n’excluons pas la possibilité que cette partie ajoutée provienne d’une version particulière de l’Arbre des batailles que nous n’avons pas rencontrée.

64  K. Labelle, Sources…, opcit. n. 17, p. 245‑251.

65  Tommaso III di Saluzzo, Il Libro del Cavaliere Errante…, éd. cit. n. 1, p. 393‑398.

66  Honoré Bovet, L’Arbre des batailles, éd. cit. n. 21, p. 47‑49.

67  Ibid., p. 62-64.

68  Ibid., p. 78-81.

69  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xxxiv.

70  Honoré Bovet, L’Arbre des batailles, éd. cit. n. 21, p. 69.

71  Ibid.

72  Ibid., p. 70.

73  Les deux autres reformulations majeures se retrouvent aux lignes 5133 à 5138 (ce qui correspond à la p. 58 chez Honoré Bovet) et aux lignes 5146 à 5160 (Honoré Bovet, L’Arbre des batailles, éd. cit. n. 21, p. 60‑62).

74  K. Labelle, Sources…, opcit. n. 17, p. 4.

75  A. Salamon, « Palingénésie des premiers livres bibliques dans quelques histoires universelles du xve siècle », Écrire la Bible en français au Moyen Âge et à la Renaissance, éd. V. Ferrer et J.-R. Valette, Genève, Droz, 2017, p. 625‑640, en part. p. 640.

76  F. Bouchet, Le discours…, op. cit. n. 2, p. 153.

77  R. Richter-Bergmeier, « Introduction », art. cit. n. 21, p. xx et Honoré Bovet, L’Arbre des batailles, éd. cit. n. 21, p. 31‑32.

78 A. Salamon, « Le Traictié des Neuf Preux », art. cit. n. 42.

79 F. Bouchet, Le discours…, op. cit. n. 2, p. 142.

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Titre Sources du récit énéen
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Pour citer cet article

Référence électronique

Kim Labelle, « Entre emprunt et réécriture : la reprise de l’Arbre des batailles dans le Chevalier errant de Thomas de Saluces »Memini [En ligne], 27 | 2021, mis en ligne le 26 novembre 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/memini/1872 ; DOI : https://doi.org/10.4000/memini.1872

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Auteur

Kim Labelle

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