Les Institutions de la Cinquième République
MAURICE DUVERGER
C9 est une étrange entreprise que de tenter l'analyse d'une Constitution tout juste née, dont quelques semaines d'application à peine ne permettent pas encore de discerner la signification véritable. Il y a un texte : mais les juristes les plus juridisants savent eux-mêmes que les textes constitutionnels sont moins importants que l'interprétation fixée par l'usage. En l'occurrence d'ailleurs, le texte n'est pas clair : d'abord, parce qu'il mélange deux ou trois régimes politiques, dans une combinaison qui se veut harmonieuse, qui le sera peut-être, qui pour l'instant repose sur un faisceau d'ambiguïtés. Ensuite, parce que cette dix-neuvième Constitution de notre histoire est plus mal rédigée qu'aucune autre de ses devancières : elle n'est pas digne de figurer dans les œuvres complètes de ce grand écrivain qu'est l'auteur des Mémoires du général de Gaulle. L'admirable concision, la remarquable précision que le Conseil d'Etat met d'ordinaire en ses arrêts, ses membres préposés aux fonctions de légistes de la Couronne ne les ont point retrouvées dans leur style constitutionnel.
Pour dépasser une exégèse purement verbale, rendue plus incertaine par l'absence de rigueur du verbe, il faut d'abord replacer le document du 4 octobre 1958 dans le contexte où il est né. Toute Constitution est une arme politique, par laquelle un parti vainqueur cherche à consolider sa victoire. Si un véritable homme d'Etat l'élabore, il modère les ardeurs de ses partisans, afin que son régime devienne à la longue acceptable par les vaincus, condition fondamentale pour en garantir la durée. Les traces de cette volonté sont perceptibles dans le texte nouveau : elles n'effacent point les marques d'un désir de revanche. Rechercher les unes et les autres, en les confrontant aux problèmes institutionnels posés à la France de 1958, aux solutions envisagées pour les résoudre, est une première voie d'approche. S'y engager implique quelques difficultés, si l'on veut en même temps se dégager de toute préférence politique, et
101