Revue générale
La sécurisation du circuit du médicament dans les établissements de santé : données actuelles et expérience du centre hospitalier universitaire de GrenobleDrug supply chain safety in hospitals: Current data and experience of the Grenoble university hospital

https://doi.org/10.1016/j.pharma.2008.10.006Get rights and content

Résumé

La sécurisation du circuit du médicament à l’hôpital est une priorité de santé publique qui implique une démarche collective. Cette démarche associe tous les intervenants parmi lesquels le pharmacien occupe une place centrale. L’objectif du présent article est d’opérer un état des lieux des différentes approches possibles dans la réduction de l’iatrogénèse médicamenteuse à l’hôpital, illustrées par l’expérience du CHU de Grenoble dans le domaine. Le pharmacien intervient en premier lieu au niveau de la politique générale du circuit du médicament de l’établissement, en second lieu par son implication directe dans les activités cliniques. La politique générale du circuit du médicament intègre la gestion des risques, l’animation de la Commission des médicaments et des dispositifs médicaux (Comedims) stériles, le référencement, puis l’achat des médicaments et enfin l’organisation des modalités de fonctionnement du circuit du médicament. Dans ce cadre, l’informatisation du circuit du médicament représente une avancée majeure en termes d’organisation et de sécurisation. La mise en place d’une délivrance nominative est un objectif à atteindre et ses modalités devront être définies : centralisée à la pharmacie ou décentralisée en unités de soins, manuelle ou automatisée. De même, l’apport des nouvelles technologies permet l’automatisation de la distribution globale au niveau de la pharmacie centrale et le déploiement des automates de distribution des médicaments en unités de soins, aussi appelés armoires à pharmacie sécurisées. Le développement de la pharmacotechnie permet de sécuriser l’utilisation des médicaments à risque, notamment les anticancéreux. Le pharmacien doit ensuite développer ses activités cliniques en lien avec le patient et les autres professionnels de santé, dans un objectif d’aide à la décision thérapeutique (observation pharmaceutique, validation des prescriptions) et de suivi du patient (suivi thérapeutique, offre de suivi éducatif, consultation de sortie).

Summary

Drug supply chain safety has become a priority for public health which implies a collective process. This process associates all health professionals including the pharmacist who plays a major role. The objective of this present paper is to describe the several approaches proven effective in the reduction of drug-related problem in hospital, illustrated by the Grenoble University Hospital experience. The pharmacist gets involved first in the general strategy of hospital drug supply chain, second by his direct implication in clinical activities. The general strategy of drug supply chain combines risk management, coordination of the Pharmacy and Therapeutics Committee, selection and purchase of drugs and organisation of drug supply chain. Computer management of drug supply chain is a major evolution. Nominative drug delivering has to be a prior objective and its implementation modalities have to be defined: centralized or decentralized in wards, manual or automated. Also, new technologies allow the automation of overall drug distribution from central pharmacy and the implementation of automated drug dispensing systems into wards. The development of centralised drug preparation allows a safe compounding of high risk drugs, like cytotoxic drugs. The pharmacist should develop his clinical activities with patients and other health care professionals in order to optimise clinical decisions (medication review, drug order analysis) and patients follow-up (therapeutic monitoring, patient education, discharge consultation).

Introduction

L’évolution de la médecine moderne est étroitement liée aux progrès des thérapeutiques médicamenteuses. Néanmoins, l’usage des médicaments n’est pas sans risque. On parle d’iatrogénèse médicamenteuse lorsque la thérapeutique médicamenteuse induit des effets, réactions, événements ou accidents indésirables, tant en raison des effets propres des médicaments concernés qu’à cause du contexte et des modalités de leur utilisation [1]. L’iatrogénèse médicamenteuse représente un problème majeur de santé publique connu des pharmaciens, mais longtemps ignoré, en France notamment. Les États-Unis se sont les premiers intéressés à cette problématique. Une méta-analyse [2] a estimé qu’aux États-Unis en 1994, 2 216 000 patients hospitalisés auraient présenté un événement indésirable médicamenteux grave et 106 000 patients hospitalisés seraient décédés suite à un événement indésirable médicamenteux ; cela représenterait la quatrième cause de décès après les maladies cardiovasculaires, les cancers et les accidents vasculaires cérébraux. En France, peu de données étaient disponibles avant la publication des résultats de l’Enquête nationale sur les événements indésirables graves (EIG) liés aux soins (ENEIS) menée entre avril et juin 2004 [3]. Cette enquête, portant sur 292 unités de 71 établissements de santé, était constituée d’un échantillon de 8754 patients, suivis pendant une période maximale de sept jours, soit au total 35 234 journées d’hospitalisation observées. Les EIG étaient définis comme les événements indésirables présentant un caractère certain de gravité (cause ou prolongation du séjour hospitalier, incapacité, risque vital). Ce travail met en évidence l’importance de l’iatrogénèse en France et plus particulièrement de l’iatrogénèse médicamenteuse, notamment au cours des hospitalisations. Ainsi, la densité d’incidence des EIG identifiés au cours de l’hospitalisation a été évaluée à 6,6 pour 1000 journées d’hospitalisation. Parmi ces EIG survenus en cours d’hospitalisation, plus du quart était associé à des produits de santé (28 %) et majoritairement aux médicaments (20 %). L’extrapolation de ces données au nombre de journées d’hospitalisation montre que 50 000 à 100 000 séjours hospitaliers sont concernés par un événement indésirable médicamenteux grave par an en France. Néanmoins, cette étude présente uniquement l’incidence des événements indésirables médicamenteux graves. L’analyse d’autres études antérieures réalisées en France et à l’étranger laisse supposer qu’un séjour hospitalier sur dix est marqué par un événement indésirable médicamenteux dont le tiers est qualifié de grave. Chaque EIG a été analysé en détail afin d’en évaluer l’évitabilité. L’analyse globale montrait ainsi que la moitié des EIG liés aux médicaments (47 %) étaient évitables et sont ainsi qualifiées d’erreur médicamenteuse.

À l’hôpital, le circuit du médicament est régi par un arrêté du 31 mars 1999 [4] et comprend plusieurs étapes : 1/ la prescription médicale, 2/ la dispensation qui comprend l’analyse pharmaceutique et la délivrance des médicaments, 3/ l’administration des médicaments au patient par le personnel infirmier. Il comprend la gestion des médicaments : commandes aux laboratoires, gestion des stocks, des périmés, des retraits de lots, choix des médicaments disponibles à l’hôpital et constitution du livret des médicaments. L’origine des erreurs médicamenteuses est le plus souvent multifactorielle et concerne les différents acteurs de ce circuit.

À l’étranger, plusieurs instances de santé publique ont pris en compte le risque iatrogène médicamenteux et ont diffusé des recommandations depuis plusieurs années visant à le réduire. Ainsi, aux États-Unis l’Institute of Medicine (IOM) diffusa dès 2000 des recommandations sous la forme d’un rapport intituléTo err is human[5]. Des mesures similaires sont en cours en France. Les pouvoirs publics ont fait de la lutte contre l’iatrogénèse médicamenteuse un des objectifs de la loi no 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. Les contrats de bon usage des médicaments et dispositifs médicaux (CBUM) [6], mis en place dans le cadre de la réforme hospitalière du plan « Hôpital 2007 », visent à engager les établissements de santé dans une dynamique de sécurisation du circuit des médicaments.

Le pharmacien hospitalier représente un acteur incontournable de la sécurisation du circuit du médicament et intervient principalement à deux niveaux. Premièrement, il participera à l’organisation générale du circuit du médicament au sein de l’établissement. Deuxièmement, il développe ses activités cliniques en lien avec le patient et les autres professionnels de santé. Dans cet article, nous présentons les différentes approches ayant fait la preuve de leur efficacité dans la réduction de l’iatrogénèse médicamenteuse à l’hôpital (Fig. 1) en rapportant leur mise en œuvre au centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble.

Section snippets

Politique générale de l’établissement en termes de gestion du risque

L’erreur médicamenteuse se produit généralement à l’un des quatre niveaux suivants : prescription, transcription, délivrance ou administration. La répartition des erreurs médicamenteuses selon l’étape du circuit du médicament est la suivante :

  • la prescription (37 % [7] ; 56% [8]) ;

  • la transcription de l’ordonnance (18% [7] ; 6% [8]) ;

  • la délivrance (22 % [7] ; 4% [8]) ;

  • l’administration (23 % [7] ; 34% [8]).

Ces chiffres montrent que tous les acteurs du circuit du médicament sont concernés par

La pharmacie clinique : de l’analyse pharmaceutique à l’éducation thérapeutique

Walton, en 1961, définit la pharmacie clinique comme « l’utilisation optimale du jugement et des connaissances pharmaceutiques et biomédicales du pharmacien, dans le but d’améliorer l’efficacité, la sécurité, l’économie et la précision selon lesquelles les médicaments doivent être utilisés dans le traitement des patients »[44]. Calop [45] la qualifie de pharmacie « au lit du malade ». Cette pratique pharmaceutique centrée sur le patient s’est, depuis, développée en Amérique du Nord (États-Unis,

Un exemple français d’organisation des activités de pharmacie clinique : le CHU de Grenoble

La démarche engagée depuis 1994 au CHU de Grenoble s’appuie : (1) sur une informatisation du circuit du médicament ; (2) sur le développement de l’automatisation de la distribution du médicament ; (3) sur l’insertion en unité de soins de pharmaciens pour développer des services de pharmacie clinique.

L’informatisation du circuit du médicament, au travers de l’utilisation de l’environnement CristalNet©, permet le respect du cadre réglementaire et limite l’iatrogénèse en optimisant notamment la

Conclusion

La sécurisation du circuit du médicament à l’hôpital nécessite une démarche multidisciplinaire dans laquelle le pharmacien occupe un rôle central en matière d’organisation de la politique générale du circuit du médicament de l’établissement et par son implication clinique. Dans le contexte des CBUM, l’expérience du CHU de Grenoble montre l’intérêt d’une démarche associant l’informatisation du circuit du médicament, le développement de l’automatisation de la distribution du médicament et

Conflits d’intérêts

Aucun.

Remerciements

Nous tenons à remercier l’ensemble de l’équipe du pôle pharmacie du CHU de Grenoble impliquée dans la sécurisation du circuit du médicament et plus particulièrement Sandrine Gonzalez, Marie-Hélène Bartoli, Dominique Charlety, Christine Chevallier, Lilia Chorfa, Françoise Colin, Marie-Dominique Desruet, Claire Hustache-Foster, Audrey Lehmann, Aude Lemoigne, Hakima Louet, Fabienne Reymond, Isabelle Rieu, Marie-José Robein-Dobremez, Thierry Romanet, Brigitte Sang, Delphine Schmitt, Patrice

Références (81)

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    Communication présentée à l’Académie nationale de pharmacie lors de la séance thématique du mercredi 23 avril 2008 « La Chaîne pharmaceutique de sécurité sanitaire ».

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